lundi 28 mars 2011

DE L'AUTRE COTE DU MIROIR


"J'ai longtemps habité sous de vastes portiques

Que les soleils marins teignaient de mille feux,

Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,

Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques."

C. Baudelaire (La vie antérieure)


Grenade, Alhambra, 2009.

ON AIR

Si vous ne l'avez pas trouvé dans votre librairie habituelle c'est qu'il est déjà en rupture! Un album pour rassembler les planches d'illustration de chansons que vous avez pu voir sur ce blog, plus quelques inédits. (En attendant la prochaine invasion dans les rayons de votre libraire, je peux vous envoyer un exemplaire dédicacé  )

samedi 26 mars 2011

"Il n'y a pas de soleil sans ombre et il faut connaitre la nuit." A. Camus le Mythe de sisyphe




mercredi 23 mars 2011

samedi 19 mars 2011

dimanche 13 mars 2011

NOUVELLE

Les vacances sont un bon pretexte à la paresse.
Et comme mon scanner est en panne, pas de dessins, je dépoussière une nouvelle déjà ancienne.
THEME : Mon meilleur ennemi.



FLATAZOR ALI


J’aurai dû avancer plus vite. Ne pas perdre mon temps en chemin. J’aurai dû me méfier de son pas traînant. De sa nonchalance. Je savais qu’entre la maison et l’école il ne fallait parler à personne. Ma mère me l’avait dit et répété.
Lui ne parlait pas. Il traînait seulement les pieds.

Tous les enfants, à cette heure matinale, filaient dans le froid. Il fallait être dans la cour du collège avant la première sonnerie. Aucun de ceux que je rencontrais ne me parlait. J’étais nouveau dans le quartier. Les enfants me dépassaient sans me voir. Pas plus qu’ils ne le voyaient, lui.
J’aurais pu ne pas le remarquer. Ne pas m’inquiéter de sa démarche gauche.
Je n’aurais pas dû l’attendre.
« Qu’est-ce que tu regardes, là-haut, dans les arbres ?
_ Je ne regarde rien, je voyage. »
Je n’ai rien compris à sa réponse. J’ai répété, pour être sûr qu’il m’avait entendu.
« Qu’est ce que tu regardes ? Il y a quelque chose dans les arbres ? »
Il m’a lancé un regard méprisant. Les autres enfants filaient vers l’école.
De quel voyage s’agissait-il ? Je suis tellement curieux !
Si je ne me dépêchais pas, je serais en retard.
Si j’arrivais après la première sonnerie, je serais convoqué chez le directeur, j’aurais un mot dans le carnet à faire signer, mes parents me demanderaient pourquoi je n’étais pas à l’heure, malgré leurs recommandations. Le ton monterait. Ils ne voudraient rien entendre de mes explications. Ils me diraient que je recommence, qu’ils n’en peuvent plus de mes manières, que je les épuise, que je dois filer dans ma chambre ou purger une de ces punitions dont ils ont le secret.
Mais j’avais envie de l’attendre. Je voulais en savoir plus sur ce voyage. Il semblait avoir arrêté le temps.

Depuis la mort de Mumur j’avais changé. Tout le monde le disait à la maison.
Mumur… Mumur, j’avais bien fait de l’écraser avec la porte. Il n’avait que des mauvaises idées. Le jour où j’ai refermé la porte sur lui, ça a été un vrai soulagement. J’ai arrêté quelques temps de faire des bêtises. Il n’était plus là pour me souffler ses drôles d’idées à l’oreille. « Si on fabriquait un feu d’artifice dans le garage ? Si passait des figurines au micro-onde pour les transformer en monstres. » Les années partagées avec Mumur avaient été infernales.

Depuis ce matin où, à demi endormi, le front collé sur le froid de la fenêtre pour me réveiller, à fixer dehors la course des oiseaux dans le ciel, je l’avais trouvé, recroquevillé contre le volet de la fenêtre de cuisine, ma vie s’était transformée en punition permanente.
Quand j’arrivais pour prendre mon petit déjeuner, il m’attendait au coin de la fenêtre. D’avoir passé la nuit dehors, ça lui avait inspiré plein d’idées à la gomme. Il prétendait tout savoir sur tout ; il préparait toujours de nouveaux jeux ; il n’avait pas son pareil pour éveiller ma curiosité.

Et moi, je l’écoutais, je le croyais, je m’appliquais à réaliser ses plans.
Des années à prendre des raclées, à être puni, à me voir retirer tout ce que j’aimais. Je n’arrivais pas à m’en défaire.
Jusqu’au jour où il a voulu me suivre dans la chambre. Il avait décidé qu’il ne resterait plus dans l’encadrement de la fenêtre de cuisine. Il disait que s’il venait dormir avec moi, on allait bien rigoler. Je lui ai laissé croire que son idée me plaisait. Qu’on allait encore faire les quatre cents coups, tous les deux !
Ce qu’il n’a pas vu, Mumur, c’est que j’avais grandi. Que tous ces coups tordus qu’il m’avait soufflés m’avaient endurci. J’avais compris qu’il n’était pas utile de démonter le poste radio pour vérifier qu’il n’y avait pas d’orchestre miniature à l’intérieur. Que laisser la baignoire déborder ne la transformerait jamais en fontaine magique.
Je l’ai laissé me suivre.
Au moment où il se glissait dans ma chambre j’ai refermé brusquement la porte. Couic ! Il n’a pas eu le temps de faire ouf ! Ecrabouillé. Plus de Mumur. Le silence et la paix.


Au début ça m’a fait bizarre, ce calme.
C’était la fin du mois d’août. Il restait moins d’une semaine avant la rentrée des classes.
J’ai eu un nouveau cartable ; tout le monde me félicitait d’être devenu sage. Comme ça, d’un coup. Personne n’a remarqué Mumur contre le montant de la porte. Il a fini par sécher et disparaître.
J’aimais bien cette vie sans cris. Sans claques non plus. Une vie de paix. L’inquiétude me tordait tout de même un peu le ventre. Si quelqu’un découvrait que j’étais un criminel, je serais envoyé au bagne. A côté, les fessées de ma mère, c’était de la rigolade. On m’enverrait en Guyane, sur un vieux rafiot et on me laisserait pourrir dans un cachot. Pourtant, personne ne semblait démasquer le criminel en moi. Comme personne n’avait jamais voulu croire à la culpabilité de Mumur.
L’injustice rôdait dans la maison et s’y était chaudement installée. Ma mère prétendait que je divaguais. Mon père disait qu’à force de raclées et de punitions je finirais par comprendre.

J’avais du mal à m’endormir le soir. Sans Mumur, je ne construisais plus rien.
Plus rien ne fonctionnait. Les jouets s’empilaient, sans jamais devenir ces forteresses que nous attaquions ensemble. Je ne fabriquais plus de machines infernales.
L’ennui s’était faufilé dans ma vie au moment où j’avais claqué cette porte.
J’attrapais un livre le soir, pour essayer de ne plus penser à Mumur. On m’avait offert Pinocchio et Les aventures de Tom Sawyer.
« Regardez cet Ange ! Comme il est sage ! Il lit tranquillement avant de s’endormir. »

Jusqu’au matin de la rentrée où ma mère m’a accompagné au collège.
« Je t’accompagne le premier jour, mais après, tu feras le chemin à pied. Tu es grand maintenant. Les enfants du quartier vont au collège à pied. Ce n’est pas très loin. Et puis tu ne seras pas seul, tu te feras de nouveaux amis. »
Il a fallu qu’on passe devant. Le panneau était peint de couleurs vives. On ne pouvait pas y échapper. Ça m’a sauté aux yeux : « FLATAZOR ALI… » Je n’ai pas eu le temps de lire la suite. Flatazor Ali. Flatazor Alligator… Ali Flatazor , le Prince des Bayous !
Dans la brume des bayous, Flatazor est tapi. Il attend. Des profondeurs de la vase, des bulles remontent. Flatazor adore qu’elles lui chatouillent les naseaux..
Flatazor est seul. Il sait qu’il ne quittera jamais les marais. Alors il se prend à rêver d’autres mondes et s’endort parfois en visitant des contrées ensoleillées où l’accueillent des créatures bienveillantes.
Flatazor s’ennuie. Il évite de se souvenir de ces moments douloureux où des promeneurs aventurés dans les bayous ont croisé son chemin. Il ne veut pas entendre les cris d’effrois qui ont déchiré le silence. Flatazor aurait tellement voulu les approcher. Qu’ils lui racontent des histoires de leur monde. Il aurait aimé poser sur eux ses naseaux frétillants et sentir leur âme comme il respire les bulles qui remontent de la vase. Mais flatazor est lent. Jamais il n’a pu rattraper l’un d’ eux. Ses pieds palmés sont faits pour la nage. Sur terre, Flatazor est maladroit. Il ne peut pas courir.
Il reste seul et il s’ennuie.
« A quoi penses-tu ? On est arrivé. As-tu regardé par où tu devras passer demain ? Dépêche-toi ! Tu es toujours si lent ! Tu vas me mettre en retard. »
Ma mère m’a déposé à l’heure. Le chemin, je le retrouverai bien. Il faut passer devant le panneau et après je crois que c’est tout droit.

Le lendemain je n’ai pas eu besoin de le chercher longtemps. Les enfants filaient vers le collège d’un pas urgent. Ils me dépassaient. Ils ne me parlaient pas.
Dès que j’ai croisé le panneau, j’ai aperçu Flatazor qui regardait vers les arbres du canal et peinait à soulever ses grosses pattes à la fois griffues et palmées.
J’aurais dû faire comme les autres. Regarder droit devant et me dépêcher.
Ne pas lui parler.
J’aurais dû avancer plus vite. Ne pas perdre mon temps en chemin. J’aurais dû me méfier de son pas trainant. De sa nonchalance. Je savais qu’entre la maison et l’école il ne fallait parler à personne. Ma mère me l’avait dit et répété.
Il était là, absorbé dans la contemplation des arbres qui bordent le canal.
Pour aller au collège il faut suivre l’avenue le long des nouveaux lotissements.
A cinq cent mètres du collège, un chemin bifurque sur la droite et rejoint le talus qui borde le canal. Des saules agrippés au talus se penchent sur l’eau du canal. Pendant l’été, j’y suis allé plusieurs fois. A plat ventre sur la berge, je regardais les têtards grouiller entre les algues. A chacune de mes visites, ils avaient changé. De plus en plus gros d’abord, avec des commencements de pattes ensuite. Jusqu’à ce que ma mère m’interdise les bords du canal. « Trop dangereux. Tu n’as pas vu la pancarte ? RISQUE DE NOYADE . »


« Où vas-tu ? Qu’est ce que tu regardes là-haut dans les arbres ?
_ Je ne regarde rien, je voyage. »
Depuis la nuit des temps Flatazor est seul. Aussi loin que ses souvenirs le conduisent, il ne trouve aucune compagnie. Pas de père ni de mère. Pas de frère ni de sœur. Flatazor a éclos dans un nid parmi des coquilles d’autres œufs brisés. Il a d’abord attendu sagement mais personne n’est venu. Alors il a entrepris sa vie de Flatazor, errant autour de son nid, berçant au fond de lui l’espoir que quelqu’un viendrait un jour et éclairerait sa vie de sa compagnie.
Flatazor s’en est voulu d’avoir été abandonné. Qu’est ce qu’il n’a pas su faire pour les retenir ? Qu’est ce qu’il n’a pas su être ? Il a tout son temps pour y réfléchir. Il ne trouve jamais de réponse. Il préfère jouer. Il préfère rêver.
Dans les marais il est Roi. Il veille sur les têtards, combat les monstres pour les empêcher de venir dévorer les enfants des villes…

Je suis arrivé après la première sonnerie. On m’a envoyé directement dans le bureau du directeur. Il a pris mon carnet en silence et y a griffé un mot.
J’ai dit : « J’ai dû aider quelqu’un en chemin, Monsieur, c’est pour ça que je suis en retard.
_ L’Imagination ! C’est ça qui te perdra mon garçon ! Au prochain retard, si tu veux aider quelqu’un, tu viendras nettoyer les classes, samedi après-midi. »
J’ai oublié de faire signer le mot par mes parents, le soir. Le lendemain comme j’ai attendu Flatazor à l’angle du chemin, j’ai encore loupé la sonnerie. Il n’était pas là et j’ai commencé à m’inquiéter.

Je suis allé voir du côté du canal. Dès que je suis arrivé sur le haut du talus je l’ai vu. Il était content que je vienne le rejoindre. Je voulais qu’il me montre ce qu’étaient devenus les têtards, mais avec le retour du froid, il n’y en avait plus. On ne distinguait même plus les algues dans l’eau boueuse. Flatazor m’a montré son nid. Au pied d’un saule dont les racines, dépassant du sol, étaient tapissées de mousse.
« Assied-toi dedans ! Tu vas voir comme c’est confortable ! »
Il m’a raconté ce temps lointain où le canal bordait des marais hantés par les monstres. Comment il a réussi à les neutraliser. Un après l’autre. Quand je lui ai dit que je devais partir, ça l’a rendu triste et de grosses larmes ont roulé sur les écailles de ses joues.
« Je reviens demain. »


Les sonneries du collège rythmaient mes angoisses. Au bout de trois jours, le directeur a appelé à la maison. Quand je suis rentré, mes parents avaient repris leur regard noir. Tout redevenait comme au temps de Mumur.
Les punitions, les claques, les menaces.


Depuis le samedi où j’avais dû nettoyer toutes les classes du collège, Flatazor ne m’attendait plus sur le chemin.
J’ai regardé vers les arbres. J’ai essayé de rattraper les enfants, le matin. Quand je les rejoignais, ils pressaient le pas.
A hauteur du chemin qui mène au canal, j’ai couru jusqu’à l’arbre de Flatazor.
Flatazor était vautré dans son nid. Il pouvait bien voir mes larmes, j’avais vu les siennes.
« C’est un combat inutile. Tu n’y arriveras pas. Les criminels ne sont jamais acceptés. M’a-t-il dit.
_ Je croyais que tu étais mon ami.
_Mumur aussi était ton ami. Tu t’en es débarrassé.
_ Mumur me faisait punir en permanence. Et toi aussi d’ailleurs.
_ Alors je suis ton meilleur ennemi ! Le premier qui pêche une écrevisse a gagné ! »
J’ai oublié mon chagrin. J’ai commencé à fouiller les galeries de la berge avec un bâton. J’ai glissé et je me suis fait happer par l’eau du canal.
« Flatazor ! »
Mes bottes se sont remplies et je me suis débattu pour les enlever. J’ai essayé de me hisser hors de l’eau, mais la berge était glissante et l’eau m’a aspiré de nouveau.
Flatazor avait disparu. Mes jambes et mes bras prenaient une raideur de robot. J’ai réussi à caler mes pieds dans une des galeries des écrevisses. Tant pis si elles me dévoraient. Quand j’ai pu attraper une racine de saule, je me suis hissé hors de l’eau.
J’ai entendu la première sonnerie du collège. Je n’arrivais pas à reprendre mon souffle. Personne autour de moi. Quand la deuxième sonnerie a retenti j’ai eu mal de ce que j’allais devoir affronter ce soir, en rentrant à la maison. Je ne sais pas si je pleurais ou si l’eau glacée qui ruisselait sur mes joues était celle du canal.
« Des larmes de crocodile ! » Flatazor disparu. J’aurai mieux fait d’y penser aux larmes de crocodile, avant de revenir ici.

Soudain j’ai entendu une explosion. J’ai cru que c’était mon cœur qui lâchait.
Et puis plus rien. Un silence de fin du monde. Au-dessus des arbres, une épaisse fumée montait des bâtiments du collège. Les sirènes ont déchiré le silence. Ils me cherchent ! Ils ont dû retrouver le cadavre de Mumur. Flatazor m’a donné. Ou le directeur. Si je reste dans les marais ils ne me trouveront pas.
Je me suis enroulé dans le nid de Flatazor. Le temps de réfléchir. Les sirènes ne s’arrêtaient pas. J’avais peur et j’avais froid. Il fallait que je rentre. J’ai dû m’endormir parce que quand j’ai ouvert les yeux, il faisait déjà sombre. Flatazor n’était plus là. Seulement la peur et la solitude. Ma montre était remplie d’eau. Mes pieds s’étaient transformés en bois. Et si l’histoire de Pinocchio était vraie ? La peur m’a poussé sur le chemin de la maison.

Je me suis arrêté sous le panneau pour reprendre mon souffle. Des ambulances et des voitures de pompiers passaient sans s’arrêter. Et puis j’ai vu ma mère arriver. Elle pleurait.
« J’étais en retard ! C’est pas ma faute, c’est Flat … »
Elle me regardait comme si elle me retrouvait après des années d’absence.
Elle m’a serré dans ses bras. Je ne partirai pas au bagne. Avant de perdre connaissance j’ai lu sur le panneau : « FLATAZOR- ALIMENTS POUR CHIENS ET CHATS. »

Il y a eu une explosion ce matin au collège. Pendant l’heure de chimie, le premier cours. Trois enfants de ma classe sont morts, les autres gravement blessés. CM.